Pourquoi Tariq Ramadan est-il diabolisé en France ?

Cible de nombreux médias avides de sensationnel, Tariq Ramadan est l'attraction du moment. Voici quelques éléments pour tenter de comprendre et expliquer un tel acharnement médiatique.
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Crédit d'image : German Muslim League
Publié le 7 novembre 2017, par Samir | 23 h 04 min
Temps de lecture : 6 minutes

Il y a un an, le journaliste Alain Gresh déclarait lors d’une conférence à Bruxelles le mois dernier : « Je viens d’un pays où 11 millions de personnes ont manifesté pour défendre la liberté d’expression. Ironie du sort, il m’est désormais presque impossible d’avoir une place à Paris où je peux tenir un débat avec Tariq Ramadan ! ».

Ces remarques amères de Gresh témoignaient des réalités sombres de l’état de la liberté d’expression en France. La sécurité semble avoir pris le pas sur la liberté. Des problèmes cruciaux tels que le chômage, la crise économique ou la justice sociale ont été marginalisés. Il est difficile d’entendre une voix qui ose remettre en question les politiques ou les récits de l’État. Tariq Ramadan est l’une de ces voix.

« La France est le seul pays au monde où je ne peux pas entrer dans une université », avait-il dit lors d’une conférence privée à Nice en 2016. À plusieurs reprises, Ramadan s’est vu refuser le droit d’organiser des débats dans les espaces publics de Paris et d’Orléans. A Bordeaux, le maire Alain Juppé l’avait empêché de tenir une conférence dans sa ville. L’interdiction de Ramadan survenait à une période où le discours islamophobe envahissait les médias traditionnels. Les diatribes stigmatisantes envers les musulmans et l’islam en France sont désormais moins fréquentes.

Un discours qui dérange

La campagne de diffamation médiatique contre Mr Ramadan n’est donc pas nouvelle. Elle s’est intensifiée l’année dernière à la suite des attentats de Charlie Hebdo. Plusieurs médias et journaux l’avait sévèrement réprimandé pour avoir refusé d’adopter le slogan « Je suis Charlie », bien que Ramadan a fermement condamné les attaques terroristes de la manière la plus claire qu’elle soit.

Rappelons que Tariq Ramadan avait défendu une liberté d’expression totale (le mot est important). Il avait critiqué Charlie Hebdo pour le limogeage de Siné, après 20 ans de collaboration. Ce dessinateur français décédé en 2008 à l’âge de 87 ans se moquait de « l’éventuelle conversion du fils de Sarkozy au judaïsme » en ces termes :

« Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général de l’UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le Parquet a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe ! Ce n’est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! »

Poursuivi par la LICRA pour incitation à la haine raciale, Siné a finalement été relaxé. Charlie Hebdo a ensuite été condamné à verser 90 000 euros de dommages et intérêts à Siné, pour rupture abusive de leur collaboration. Quand il s’agit de se moquer de l’islam, le magazine revendique pourtant le droit à une expression absolue.

Les célèbres détracteurs de Tariq Ramadan, tels que Caroline Fourest ou Bernard Henri Levy, tous décrits dans un livre écrit par Pascal Boniface comme des « contrefacteurs intellectuels », invoquent constamment la même terminologie pour nourrir la campagne de diffamation contre le théologien. Ils l’accusent d' »ambiguïté », de « double discours » et d’oeuvrer pour « islamiser l’Europe », sans apporter de preuves à l’appui de leurs affirmations, si ce n’est en rappelant sa lignée. Depuis quand a-t-on le droit de juger une personne à cause de ses ascendants ? (Il est le petit-fils de Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans).

Des musulmans citoyens à part entière

Tariq Ramadan appelle les musulmans français et européens à agir en tant que citoyens à part entière à s’investir en politique, à penser, parler et interagir hors de l’esprit communautaire, à interroger leurs gouvernements sur les politiques socio-économiques, à refuser l’injustice et la discrimination, à exiger l’égalité sociale, à rentrer dans des débats de fond sur les idées, au delà de l’appartenance religieuse. C’est dans ce sens que Edwy Plenel, président et co-fondateur du site Mediapart qualifiait Ramadan de politicien conservateur.

Tariq Ramadan souligne la nécessité d’initier des dialogues interconfessionnels et interculturels sur les valeurs morales communes, afin de remettre en question le manque de signification et le rôle de la religion, de l’état et des pouvoirs de notre économie. Il encourage les politiciens, les intellectuels et les experts des médias à accorder la même dignité et le même respect à toutes les victimes de la terreur sans distinction de religion, de race ou de pays.

Pourtant, ces écrits et opinions sont totalement ignorés par les médias et le corpus intellectuel, à l’exception de quelques grands penseurs français tels que l’éminent sociologue français Edgar Morin, qui a écrit un livre avec Ramadan en 2014 (dans lequel ils discutent éducation, science, art, laïcité, droits des femmes et droits des minorités, antisémitisme et islamophobie, démocratie, fondamentalisme et mondialisation), ainsi que l’ancien rédacteur en chef du journal Le Monde, Edwy Plenel, et Alain Gresh, ancien rédacteur en chef de Le Monde Diplomatique.

Défendu par des penseurs français

Ces intellectuels condamnent la discrimination contre Mr Ramadan et insistent sur la nécessité de débattre avec lui, en dépit de divergences de vues possibles. Ce n’est que comme ça que l’on peut embrasser et respecter véritablement la liberté d’expression en tant que valeur universelle. Edgar Morin et Alain Gresh avaient été jusqu’à appeler publiquement à ne pas interdire Tariq Ramadan, au nom de la liberté d’expression.

Compte tenu de ces faits, qu’est-ce qui pourrait justifier une attitude aussi hostile envers l’intellectuel musulman ? Est-ce parce que le profil de Ramadan défie les stéréotypes racistes des arabes musulmans ? Le musulman ou l’arabe doit-il s’en tenir à une image préconçue, un archétype prédéfini, celui d’une personne ignorante et sans instruction qui parle à peine le français et qui est constamment présentée comme une source de conflit dans son entourage ?

Dans les rares occasions où on lui donne une tribune, c’est surtout pour corroborer ces clichés préexistants et pour promouvoir les politiques et les récits du gouvernement. L’exemple le plus éloquent fut Hassen Chalghoumi, une ancienne figure promue par les médias mais farouchement controversée parmi la communauté musulmane en France.

Ou est-ce parce que Tariq Ramadan expose publiquement les arguments erronés de la junte intellectuelle du gouvernement ? Est-ce parce que le débat avec Ramadan mettrait à nu leurs propres contradictions et ébranlerait les mensonges qu’ils promeuvent pour servir leurs propres intérêts ? Existe t-il une peur de débattre avec lui ?

La république française éprouve-t-elle des difficultés à admettre la mutation sociale qu’elle a subie au cours des dernières décennies, de sorte qu’elle ne reconnaît guère son caractère pluraliste ? En tant que tel, donner à Tariq Ramadan un espace pour la libre expression équivaudrait alors à une reconnaissance officielle de cette pluralité et des responsabilités de l’État qu’elle comporte en termes d’égalité et de justice sociale.

jeu. 18 Ramadan
الخميس 18 رمضان

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